« Et vous avez combien d’enfants ? »

« Et vous avez combien d’enfants ?… »
Cette phrase, à chaque fois que je l’ai entendue après la mort de
Baptiste, notre second enfant, m’a toujours glacée, pétrifiée.
Cela me replantait à chaque fois, un couteau dans le cœur. J’avais
l’impression de le perdre à nouveau.
Que fallait-il dire ?
La vérité, bien sûr : j’ai deux enfants. En expliquant très vite que le
second venait de mourir. Ça m’était égal que les gens puissent
l’entendre ou pas.
Et puis avec le temps et l’arrivée de deux autres enfants dans notre
famille les choses ont évolué.

Dans les repas chez des amis arrivait toujours à un moment ou à un
autre quand il y avait de nouvelles connaissances, la question : « et vous avez combien d’enfants ?  »

Quand c’était à l’apéro en tête-à -tête avec le voisin c’était simple
d’expliquer. Si c’était autour de la table au cours du dîner, je savais
que si je disais ce que j’avais envie de dire j’allais plomber
l’ambiance.
photographie de François Aurora
Sur le tapis d’herbes sauvages, contre jour et perle de rosée Par F. Aurora

A l’école,  dans les papiers administratifs que j’avais à remplir, quels
qu’ils soient, j’ai toujours mentionné ce frère disparu trop tôt pour
mon fils aîné. Mais aussi ensuite pour les suivants. Pour que mes
enfants ne l’oublient pas, que cela s’ancre dans leur conscient, car
leur inconscient le savait bien lui. Mais aussi pour que les enseignants le
sachent.
Car cet enfant parti trop vite garde toute sa place dans la fratrie.
Et puis avec le temps, il y a ceux à qui je n’avais pas envie de raconter
ma vie, dont je n’étais pas assez proche pour leur confier cette partie
si intime de mon histoire.
Et puis il y ceux au contraire, qui dès la première rencontre créent
une confiance, ont d’emblée une oreille bienveillante. Ceux-ci, on sait
qu’ils peuvent entendre : j’ai quatre enfants, mais il n’y en a que trois à
la maison.
Baptiste est parti à cinq mois et dix jours il y a presque 27 ans.