Catherine Le Grand-Sébill, Les rites familiaux après la mort d’un enfant

Conférence de Catherine Le Grand-Sébille, socio-anthropologue, maître de conférences, faculté de médecine Lille 2, lors de l’assemblée générale de Naître et Vivre, le 6 avril 2013 : après la mort d’un enfant, comment les rites funéraires et les rituels de deuil, familiaux, sociaux, collectifs, peuvent-ils aider?

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« Les socio-anthropologues (=anthropologues sociaux et culturels, c’est le même métier qu’ethnologue) s’intéressent à l’extrême diversité que présentent les humains de faire face au malheur, face au mystère, face aux difficultés, de par le monde.

Face à la mort, beaucoup de choses ont changé autour de la deuxième guerre mondiale. Avant, les rituels étaient beaucoup plus présents, on savait que quelqu’un était endeuillé. Depuis les années 60, 70, 80, c’est de moins en moins visible. Vers la fin des années 90, en France, il n’y avait quasiment plus de visibilité sociale de la mort. Les rituels s’étaient beaucoup atténués, et sans avoir tout à fait disparu, ils se donnaient beaucoup moins à voir. Cela change : depuis plus de 10 ans, aux USA, fleurissent des « agences de rites » qui ont beaucoup de succès.
Les rituels, considérés comme embarrassants, gênants, mangeurs de temps et si peu immédiatement utiles, avaient disparu. Ils étaient tout à fait incompatibles avec la vie ordinaire, plutôt basée sur l’activité et le travail… or, ritualiser cela demande de s’arrêter: c’était devenu incompatible avec le rythme de nos sociétés post industrielles. Mais nous avons changé d’époque, nous ne sommes plus dans ce silence et ce déni sur la mort. Nous n’avons jamais autant écrit sur la mort qu’aujourd’hui. Très probablement si nous écrivons beaucoup, s’il y a beaucoup de films et si nous parlons beaucoup de la mort, c’est aussi parce que nous en faisons de moins en moins autour d’elle.
Auparavant, il n’y avait pas besoin de parler de la mort car on faisait beaucoup de choses autour de cet événement. Les cortèges n’existent plus dans les villes et les villages, les obsèques ne sont plus fréquentées par la population, en dehors des plus vieux. Quand on s’est mis à moins faire, il a fallu trouver le moyen d’en parler. D’autres personnes, plus jeunes que ceux qui avaient laissé quasiment disparaître la mort dans notre société, se sont récemment saisis de ce thème et l’ont mis au travail dans des dispositions qui peuvent choquer un peu. Par exemple, l’essor des films qui semblent incroyablement sombres autour de toutes les manières de mourir, les plus sanglantes possibles… expressions très excessives parfois…
L’intériorisation de la mort, c’est historiquement très nouveau. Mais il faut que la mort revienne, et elle prend la place qu’elle peut. « La mort nous intéresse » : les plus jeunes disent que nous n’allons pas nous en sortir en camouflant la mort, en ne la montrant plus, en considérant que les choses ont à se jouer dans l’intimité et non plus dans le social. Cela est tout à fait important.

L’hôpital et les soignants ont beaucoup contribué à occulter la mort. Un de mes collègues, le sociologue Michel Castra nomme cela « l’intimisation » de la mort. On disait de plus en plus aux familles que les obsèques et le deuil les concernent, elles, et qu’elles avaient à décider sans que les autres leur dictent comment faire. Cette privatisation, cette solitude, c’est historiquement très nouveau.
Jamais aucune société au monde, et depuis le début de l’histoire, n’a laissé les proches les plus endeuillés seuls pour tout décider. Ainsi les soignants ont été pendant environ 30 ans, des acteurs efficaces pour contribuer à ce que la mort, qui se produit le plus souvent à l’hôpital, devienne totalement invisible.
Mais cette intimisation de la mort est remise en cause actuellement par des soignants hospitaliers eux-mêmes, qui, de plus en plus travaillent avec les chercheurs en sciences sociales que nous sommes, pour resocialiser la mort.

Poursuivons sur l’importance des rituels tout en parlant de la manière dont la mort se déroule et dont tous ceux qui se trouvent autour de parents frappés par le décès d’un enfant peuvent contribuer positivement ou plus négativement à emprunter des chemins qui peuvent être différents.
Jusque dans les années 1950, tout le monde en France connaissait les mêmes rituels, qu’ils soient religieux ou laïques. Nous avons des historiens qui travaillent sur les rituels laïques depuis plusieurs années : des familles politiques, notamment les syndicalistes, qui étaient très opposées à des rituels religieux, avaient des rituels laïques incroyablement développés. Il y avait des cérémonies qui se déroulaient autour de la mémoire de tel ou tel militant, et cela n’avait rien à envier à un rite religieux.
Je cite des sociologues et des historiens, car nous avons besoin, pour comprendre ce qui nous arrive dans notre société d’aujourd’hui concernant la mort et les rituels funéraires, de travailler avec les autres et d’emprunter leurs éclairages théoriques ou pratiques. »

CLGS a l’expérience d’avoir travaillé dans les années 90 sur les violences institutionnelles dans un gros établissement qui accueillait des mères célibataires venues accoucher pour un grand nombre d’entre elles, sous le secret. Elle a travaillé sur la mémoire que le personnel de cet établissement avait gardé de ce lieu. Ces personnels ne disaient rien sur les morts périnatales. Il avait été évoqué une mort maternelle mais rien sur les morts périnatales. Personne n’avait rien à dire, aucun registre n’avait été tenu, et il y avait un grand silence sur ceux qu’on devait considérer comme de trop petits morts pour qu’ils soient intéressants. Ce silence sur la mort l’a poussée à se demander : en dehors de cet établissement, quelle est la place faite aux très petits morts dans notre société ?
Avec un médecin de santé publique, Maryse Dumoulin, et un autre médecin Anne-Sophie Valat, elles ont voulu que ces très petits morts ne soient pas des « inconnus sociaux », sans aucune trace. Cela signifiait reconnaître les parents endeuillés et permettre qu’ils rencontrent cet enfant, c’était un immense travail. Des historiens aussi étaient intéressés : Didier Lett travaillait sur l’époque médiévale pour rechercher ce que l’on faisait de ces bébés morts au moyen âge, et Marie France Morel, historienne de la naissance s’intéressait aussi beaucoup aux bébés morts dans l’histoire. Ainsi, vers 1995, a été mené un projet de recherche pludisciplinaire sur la mort périnatale.
Auparavant ces corps étaient souvent enterrés dans le jardin familial, avec parfois un rosier ou un arbre au dessus de leur sépulture, car ils ne pouvaient pas être inhumés dans un cimetière, pour des raisons religieuses pendant très longtemps, puis pour des raisons d’état civil, car n’étant pas nommés, donc sans personnalité juridique, ils n’avaient aucune reconnaissance ni sociale ni religieuse.
Le monde se partage en deux sur ce thème de ces morts très précoces: ceux qui ne font rien car le corps n’a pas d’entité juridique, l’enfant mort ne semble pas inscrit dans la communauté humaine, comme ici en France . D’autres sociétés (Inuits, Japon, certains pays africains, Berbères) avaient des rituels importants qui reconnaissaient la mère comme endeuillée. Même parfois pour une fausse-couche précoce (Chine). Cela avait la vertu de consoler et de prévenir, en souhaitant que les naissances suivantes soient vivantes et heureuses.

Puis, le travail s’est étendu par capillarité aux autres morts très difficiles (enfants, ados, jeunes majeurs). On associe toujours les professionnels de l’hôpital et des services funéraires pour aider à une continuité dans l’accompagnement. En effet, les familles ne peuvent pas se saucissonner entre ce qui se passe en maternité et le moment des rites funéraires.

Nécessité de la culture et du social

« De tout temps et dans toutes les cultures, face à la mort, les humains ont ressenti le besoin de renforcer des liens de sociabilité face au malheur, de puiser dans les réservoirs de signes symboliques que sont les rites, la tradition, et la mémoire collective, et de trouver de nouvelles réponses grâce à leur inventivité, pour comprendre et interpréter sous une forme ordonnée et intelligible, ce qui resterait confus et destructeur. »

La symbolique, c’est la mise en sens à plusieurs pour donner une interprétation. Nous manifestons ainsi que nous ne sommes pas des grands singes (la mère singe porte à bout de bras son bébé mort jusqu’à ce qu’il se décompose et sèche…). On acte la séparation grâce aux liens. Les signes symboliques du groupe aident. Les symboles d’autres groupes, que nous ne connaissons pas, nous intriguent et nous inquiètent. Ex : les Grecs pensaient que le tonnerre était la symbolique de la colère des dieux. Il y a bien sûr une grande diversité des symboliques
Inventivité : car actuellement les propositions changent incroyablement. Ex : applaudir à la fin d’une cérémonie comme en Espagne… est-ce indécent ici? c’est systématique ailleurs. Les Tamouls invitent beaucoup de gens, il y beaucoup de musique, de couleurs. Nous, nous devons nous taire, en signe de respect. Un étranger qui participe à des funérailles va repérer des choses pour lui inhabituelles.
Les cultures se transforment, empruntent les unes aux autres, et changent. Avec les signes symboliques que la culture produit, on peut plus ou moins comprendre et interpréter sous une forme ordonnée et intelligible ce qui sinon serait confus et destructeur. Si on ne nous aide pas, si des jalons ne sont pas posés, effectivement nous sommes détruits.
Si la sollicitude n’existait pas, nous serions dans une solitude très difficile.
Parfois, le commerce s’est emparé de cela mais ça doit être pris en charge par des gens dont c’est le métier. Il n’y a pas de société au monde qui considère que c’est gratuit. Partout, on s’endette pour ses morts. Mais ça doit rester au juste prix. Il y a un coût financier, mais aussi un coût social et un coût psychique. La mort périnatale ne peut pas être un événement qui ne laisse pas de trace. Il faut redire ce que la mort nous coûte.

Prendre soin du lien social quand on reçoit les familles à l’hôpital et après…

« Faire confiance aux personnes, aux familles. Aller vers elles, les soutenir pour qu’elles soient pleinement participantes à leur manière.
Les aider à accéder aux ressources, valoriser les liens sociaux (les amis, les voisins) et les supports existants. Faire connaître les aides, le réseau associatif… »

Nécessité de faire confiance aux liens d’interconnaissance qui précèdent l’entrée à l’hôpital de l’enfant et de ses parents: aller vers les familles, vers les grands-parents, car, eux, ont déjà connus des morts, et participé à des rituels funéraires. Un exemple : une femme avait perdu en réanimation néonatale, sa petite fille de 4 mois qui n’était jamais sortie de l’hôpital. Au moment du décès, cette mère s’est tournée vers les soignants en demandant comment faire ? Les soignants ont répondu : « faites comme vous le sentez ». La maman était perdue, ne pouvait rien faire. Pour la belle-mère, ne rien faire pour cette petite était impossible, et c’est elle qui a organisé les obsèques. La jeune maman a été entourée de 350 de ses collègues, et dire que cela lui avait fait du bien, que les obsèques avaient été un très beau jour, malgré le malheur.
Ce qui s’installe contre une intimisation de la mort est préférable. Il faut dire l’importance d’aller vers les plus âgés. Aider à accéder aux ressources, aux liens sociaux, aux supports existants, c’est aussi faire connaître les aides possibles, les réseaux associatifs. C’est avec cet objectif que l’association Sparadrap a rédigé un petit texte qui précise aux professionnels de santé comment remettre le livre « Repères pour vous parents en deuil », aux familles.

Les besoins des familles

« Besoin d’être guidé et accompagné
Besoin qu’on fasse confiance à leurs ressources familiales et amicales
Si les soignants ne savent pas parler des obsèques avec les parents et contribuent ainsi à l’intimisation de la mort, il faut qu’ils passent le relais à d’autres, comme les grands-parents qui connaissent en général l’importance des rituels. »

Besoin d’être guidés et accompagnés : personne ne sait comment être parent d’un enfant mort… Besoin de quelqu’un pour vous aider à manger, pour vous contraindre à vous reposer, presque vous border…
Il faudrait faire davantage confiance aux ressources familiales et amicales : les soignants doivent passer le relais à d’autres. Ne pas dire « méfiez vous de ce que vont vous dire les autres ». Une femme obstétricienne a arrêté de dire ça, car elle a mesuré que ça revenait à dire « vous quittez l’hôpital où on sait prendre soin de vous et vous partez en terrain hostile ».
De même l’«intimisation » de la mort est une pratique délétère, car désocialisante.

Question posée par une maman : il arrive pourtant aussi qu’on reçoive de ses parents ou de ses beaux-parents de mauvais conseils ?
CLGS : nos parents sont importants parce que ce sont nos parents, ce sont eux qui nous ont fait advenir à la vie et grandir. La manière dont ils sont affectés nous est souvent inconnue. Nous attendons d’eux qu’ils soient totalement en phase avec ce que nous attendons d’eux. Ils ne sont pas en place d’être nos meilleurs amis. Leur importance n’est pas seulement dans une place affective mais dans une place sociale, place qui ne peut pas être contournée et qui n’est pas interchangeable (c’est l’ordre des générations). Cette place est fondatrice même si les relations avec eux sont difficiles.
Même si cela surprend, les sentiments sont aussi des réactions socialement construites, pour un homme plus âgé notamment : il doit être fort, ne pas exprimer son chagrin, soutenir sa femme et les plus jeunes.
En Amérique du Nord, certains ont établi une échelle du chagrin face à la mort d’un enfant : la mère en premier, le père est au même niveau que la grand-mère, le grand-père apparaît en dernier… Quelle méconnaissance de la peine intériorisée, des codes virils, de l’interdit social à manifester sa peine pour les grands-pères.
Ce qui compliqué c’est « l’atomisation » contemporaine de la famille (papa – maman et les enfants) qui provoque ces histoires autour de la « bonne » place des grands-parents. Jamais avant le XXe siècle les grands parents ne se posaient la question de leur place, elle était connue et reconnue. Dans d’autres sociétés chez les Woloff, par exemple, la mère est la mère, mais la communauté considère aussi que cet enfant est son enfant et la parole coutumière le rappelle à chacun. En France et en Europe du Nord, la représentation de la famille est donc très atomisée mais notre position est plutôt marginale dans le monde. Nous avons une relation très exclusive à l’enfant. Et nous nous sentons radicalement seul devant sa disparition.

Face à la perte et à la mort, l’exigence rituelle

« Il faut évoquer la dimension indispensable des rites pendant cette traversée périlleuse que représente l’avènement de la mort, que celle-ci se déroule à l’hôpital ou au domicile, puis ce temps qui s’écoule jusqu’aux obsèques, et le temps long du deuil »

Les rituels sont absolument essentiels pour traverser cette période périlleuse. Si les humains ont inventé puis maintenu cela de tout temps, c’est bien parce que c’était essentiel. Les formes anciennes sont devenues obsolètes au cours du XXe siècle, mais si nous n’inscrivons ni trace, ni place, alors la mort devient trop envahissante.
On assiste à un renouveau rituel, dans des formes, en fait, assez proches de la tradition. Les rites posent des jalons face au désordre que provoque la mort, pour ne pas se perdre.

Le marquage symbolique des passages, est indispensable.

« Les “ rites sont dans le temps ce que la demeure est dans l’espace », comme l’écrivait très justement Antoine de Saint-Exupéry dans Citadelle. La demeure comme abri, lieu sûr, repère, nous intéresse tout à fait pour “ penser ” la fin de vie et le travail du trépas. Avec le rite, nous comprenons que pour qu’une structure temporelle se solidifie, la répétition et le marquage symbolique des passages sont indispensables. »

L’importance des rituels dit aussi l’importance des mémoires. D’une certaine manière, les rites sont devenus, au cours du XXe siècle, « ob-scènes », c’est à dire en dehors de la scène, comme l’a écrit Michel De Certeau. Comment pouvons-nous témoigner de la durée de l’histoire et du déroulement de l’histoire si nous ne reconnaissons pas nos ancêtres ? Nous avons pensé que nous pouvions faire table rase…

Pour illustrer la force d’un rite, regardons la cérémonie des pots cassés lors de la ménopause, étape douloureuse où la femme doit renoncer à avoir des enfants… En Bourgogne, jusque dans les années 50, quand une femme était ménopausée et que sa fille allait se marier, il y avait un rite. Dans une cruche, symbole de la cavité utérine, étaient mélangés de la mie de pain et du vinaigre. La mère jetait la cruche par terre, la cruche se cassait, symbole que la mère renonçait à avoir des enfants, qu’elle laissait la place aux jeunes. Elle donnait ensuite des ustensiles de cuisine à sa fille. Etaient ainsi marqués ce renoncement à la maternité et la transmission des pouvoirs et des savoirs féminins.
Maintenant, nous gommons ce changement qui nous affecte trop, avec des traitements « anti-ménopause » comme le disent les femmes. Nous avons besoin de revendiquer nos places et, comme il n’y a plus le rituel des pots cassés, nous allons vers davantage de concurrence entre générations. Nous déterminons les places au fur et à mesure de ce que nous éprouvons, et cela est très difficile. Nous avons moins de contraintes mais plus d’incertitudes. Notre société pointe ce que nous perdons avec la vieillesse, sans regarder ce que nous gagnons.
Il ne s’agit pas de tomber dans un discours nostalgique mais de nous poser la question : que faisons nous de ceux et celles qui nous ont précédé, qui ont su avoir des enfants et les faire grandir ?

Lors du décès d’un tout-petit, les grands-mères en voyant leurs filles ou belles-filles souffrir, ont de la peine en voyant le poids et la durée de leur chagrin. Pour les grands-parents, il y a une double souffrance, leur peine liée à la mort de ce petit-enfant et leur peine pour le couple de jeunes parents.
L’éprouvé et la durée du deuil est très différents pour chacun. Même dans une association, les parcours, les moments par lesquels on passe, les signes symboliques que les autres mentionnent, peuvent être très différents, mais on recherche l’expérience commune traversée et on en a besoin.
Le deuil dans la famille ne touche pas de la même façon les différentes générations, les différentes places familiales.
Nous sommes dans une société avec omniprésence des experts, et une médicalisation de l’existence qui promeut la résilience, la gestion du deuil, la nécessité de s’en relever vite, alors que les rituels « prennent leur temps »…

Le mot rite

« Le rite, pour l’anthropologue, signifie une pratique réglée, collective et transmise, qui a souvent un caractère sacré (au sens d’exception) et qui porte toujours une dimension symbolique. »

C’est la dimension du sens qui se travaille. Le rite social est partagé à plusieurs. C’est ce qui le différencie du TOC (trouble obsessionnel compulsif) qui constitue un rite pour soi même, seul.
Un exemple de beau rituel inventé plus récemment est la « minute de silence », moment collectif dans lequel est transmis un hommage, de la considération et où nous marquons un arrêt. Nous nous arrêtons dans nos déplacements et le corps est immobile. Le silence alors n’est pas vide, il est plein d’un précieux respect.

Pour qu’on puisse parler de rite, il faut

« Une conduite spécifique, prenant habituellement le corps comme support,
liée à des situations et à des règles précises, donc codifiées, même si l’on admet une marge d’improvisation et d’apports nouveaux, répétant quelque chose d’une autre conduite et destinée à être répétée, ayant un sens vécu et une valeur symbolique pour ses acteurs ou pour ses témoins »

Un exemple dans la tradition ouvrière : en cas de mort d’un ouvrier à la chaîne dans une usine, la chaîne était arrêtée, les collègues entouraient le corps, un de ses compagnons posait une main sur le corps jusqu’à ce que quelqu’un de la famille arrive, manière de dire que le mort n’était pas laissé seul, puis on faisait à la veuve le récit de l’accident. Maintenant, il est installé un cordon sanitaire autour du corps et il ne faut plus l’approcher.

Les rites :

« Ils viennent jalonner la vie en orchestrant ses grands passages. Ils symbolisent la perpétuelle transformation des humains mortels que nous sommes, la valorisent, aident à la vivre et à supporter les pertes qu’elle entraîne, en l’occurrence l’abandon d’un passé qui n’était pas sans avantages, et auquel il est douloureux de renoncer.
Les rites initient aux étapes nouvelles, c’est-à-dire qu’ils donnent les impulsions de changement »

Le rite valorise les transformations, et il initie aux étapes essentielles de la vie.

Quand les rites n’ont pas lieu

« les proches et les soignants se débrouillent seuls avec ce changement d’état qui n’est pas sans les bouleverser. »

Les études anthropologiques sur la mort

« Elles attestent que le bon déroulement des rites et particulièrement du rituel d’adieu a pour fonction de fixer la place de chacun, morts et vivants. Quand ces cérémonies n’ont pas pu avoir lieu pour ceux qui les attendent ou qu’elles n’ont pas de sens pour ceux qui les subissent, nous savons, et les professionnels du funéraire le savent bien, que cela pourrait tourmenter la vie psychique et sociale des individus. »
C’est l’intérêt du rituel : fixer la place des morts et celle des vivants. Le rite est consolateur, au sens étymologique de « ne pas rester seul ».

Le grand avantage du rituel…

« …c’est qu’il peut s’accomplir à distance de l’événement, dans d’autres lieux, avec des personnes nouvelles, et se répéter comme aux dates anniversaires, jusqu’à ce qu’il ne soit plus utile.
De cela, ceux qui ont traversé des épreuves semblables, comme les bénévoles d’associations, peuvent témoigner… »

Il est important de se rappeler qu’il n’est jamais trop tard pour vivre un rituel, si cela n’a pas été possible dans l’immédiat.
Parfois un rituel est nécessaire tel un repas anniversaire du décès, par exemple, et puis à un moment, c’est moins nécessaire et cela peut s’espacer.

Lentement, « la plaie se referme, même si la cicatrice persiste

la communauté a survécu en continuant à vivre, sans l’absent, mais sans l’oublier.
La vigueur du lien social est réaffirmée. Malgré les morts individuelles, la communauté humaine est immortelle. Elle affirme depuis son apparition sur terre l’obligation d’honorer les défunts. »

Rendre la séparation possible et aider à ce que la vie se poursuive

« Seulement alors, elle peut garantir la paix (séparée) des morts et des vivants
C’est le travail de la culture de faire en sorte que les morts deviennent des « proches de loin ».
La ritualisation permet de verbaliser les affects liés à l’absence et au disparu, en présence d’autrui (Groupes de paroles d’endeuillés, lâchés de ballons, patchwork des noms) »

Permettre les émotions et les contenir

« Enfin, le rite offre un cadre légitime et contenant pour canaliser les émotions (via des paroles/gestes), afin qu’elles puissent s’exprimer sans déborder totalement dans un mouvement incontrôlable. La présence des autres offre cette précieuse protection. »
Le rituel permet l’expression des émotions, alors que dans notre société, il est quasi impossible de manifester sa peine, là pourtant il peut y avoir pleurs et cris.

Interventions du public

Intervention d’un médecin dans la salle : un bébé de famille algérienne est décédé. Le père est parti seul en Algérie avec l’enfant, la mère a dû rester en France, sans pouvoir être aux funérailles… nous étions troublés.
CLGS : Il est important de ne pas mettre les rituels en compétition. Plusieurs rituels valent mieux que pas du tout. L’enfant est l’enfant de sa mère, de son père et de la communauté. Le rituel vient là faire un travail de culture en venant dire fortement l’appartenance de ce petit être à une communauté humaine. Il est parfois difficile de ne pas cliver entre choix individuel et choix collectif.

En ce qui concerne le corps du défunt, maintenant, il y a le souhait que la personne a exprimé, et le souhait de la famille… il peut y avoir eu des oppositions sur le devenir des cendres. Cela évolue au niveau juridique. Ce qui est recherché, c’est une séparation saine entre les morts et les vivants.
Si les morts ne deviennent pas des « proches de loin », ils peuvent être des proches très encombrants.

La question de l’autopsie et de la toilette du corps
Les pratiques ont évolué : ce n’est pas seulement pour l’enfant, pour les parents ou pour les collègues que les pratiques professionnelles se sont modifiées. C’est aussi pour celui qui s’occupe de l’enfant mort, pour qu’il puisse considérer avec fierté la manière dont il a assumé son travail. De cela naît un apaisement, qui évite aussi l’épuisement, le burn-out. La réelle amélioration de la formation des professionnels des chambres mortuaires permet qu’ils fassent le plus souvent un travail remarquable.

Les tout-petits ne sont pas seulement les morts de leurs mamans et de leurs papas, ils sont aussi de tout-petits morts pour les autres, parce que les autres ont su prendre soin d’eux.

Compte-rendu rédigé par Annie Avenel et Elisabeth Briand-Huchet, et validé par Mme Le Grand-Sébille