Tant de questionnements, de doutes, de peurs, de désirs aussi à l’idée de porter et donner à nouveau la vie. Un instinct de vie peut nous pousser à « créer la vie alors que la marque de la mort est à jamais en nous », comme l’écrit A. Ernoult-Delcourt dans « Apprivoiser l’absence ». Nos ressorts psychologiques dépassant bien souvent le simple instinct, « votre décision de revivre ne peut-être que le fruit d’un cheminement intérieur, et il n’y a pas de temps minimum ou maximum imparti pour y parvenir ».
Le 28 janvier 2016, Déborah Fauchon, Psychologue, forte de son expérience au Centre de référence Mort Inattendue du Nourrisson de l’hôpital Antoine Béclère à Clamart, nous a éclairés et permis d’échanger sur cette question.
Après le décès de son enfant, que dire de ce désir de redonner vie
Extraits de cette rencontre entre parents
Souvent après la mort de leur bébé, c’est une idée qui traverse rapidement les parents et qui suscite déjà plus ou moins d’inconfort. Les réactions sont donc variées. On a des parents qui ont la possibilité d’aborder la question très vite, quand pour d’autres ce n’est pas le moment. Pour tous, c’est tenter de faire face et de combler le vide intolérable.
Une volonté de se retrouver père et mère, de retrouver presque une identité lié à un statut qu’ils ont le sentiment d’avoir perdu. Devenir parents sans enfant est compliqué car ils ont été des parents, ils le sont toujours et le resteront à jamais… mais sans enfant.
Différents ressentis liés à ce désir de redonner vie:
- Ambivalence : Un désir d’avancer et une peur insupportable et irraisonnée d’effacer un peu plus le bébé disparu… on veut mais on ne veut pas.
- Culpabilité : Elle peut être, envers son bébé décédé… mais aussi envers ce bébé qu’on attend.
- Conflit de loyauté : peur d’oublier l’enfant décédé, et à l’inverse on a peur aussi pour l’enfant à venir. Quelle est la place de chacun des enfants?
- Perte de « l’insouciance »: Tout parait dangereux et tout ce qui pourrait arriver de grave finalement est de l’ordre du possible, puisque cela s’est déjà produit.
- doutes importants : Sentiments de pertes de repères, de perdre ses savoirs faire «je sais plus faire»…«comment je pourrais l’aimer autant que son frère ou sa sœur?»
Ce qu’on sait maintenant aujourd’hui c’est que la grossesse ne s’oppose pas toujours au travail de deuil. Au contraire, elle peut parfois favoriser sa dynamique en apportant espoir et lutte contre l’immobilisme psychique. La grossesse peut faire émerger des souvenirs et accéder à d’autres représentations. Le travail de deuil et le travail d’identité de l’enfant à naître peuvent se faire en synergie. La grossesse offre parfois de grandes potentialités d’élaboration psychique.
Quand la grossesse arrive…
Sentiments mêlés de joie et d’inquiétude, sans qu’on puisse d’ailleurs vraiment dire lequel prend le dessus sur l’autre.
Neufs mois après, l’accueil de cet enfant suivant…
l’accouchement, les peurs, les dates d’anniversaires, les affaires de l’enfant décédé, le mode de garde… autant de questions qui se dénouent au fur et à mesure de la découverte de cette vie avec cet enfant.
« Ce n’est pas facile, ça fout une trouille monstre. Pourquoi la vie cheminerait dans un foyer quand un autre enfant y est déjà mort ??
C’est difficile aussi de s’autoriser à accueillir un autre petit en souhaitant qu’il grandisse quand le premier né, mort, ne grandira pas et plus jamais. Une vieille culpabilité fait régulièrement surface…Et puis… la vie, quand elle est là et quand elle commence à grandir à nouveau dans le cadre d’une nouvelle grossesse, est pleine de surprises. Dés les premiers instants, elle se manifeste différemment de la grossesse précédente. Le petit bébé, une fois né, aussi, est comme au courant qu’il doit donner confiance à ses parents qui ont croisé le drame avec son aîné. (…)
La trouille est encore là bien sûr… longtemps après, et surtout jusqu’au jour anniversaire de la mort de l’enfant perdu… et aussi pendant tous les premiers mois où on peut se dire que l’enfant n’est pas encore assez grand et fort pour échapper au drame potentiel…
La trouille est là encore après, quand on sait combien la vie a de prix et qu’elle peut si vite partir…
Mais la vie est là aussi et elle finit par battre la trouille… ou prendre un peu d’avance en tous cas, et même par être belle.Notre foyer aujourd’hui est finalement fort de cette histoire, de notre histoire de famille, si singulière. »
Marie (maman d’Axel) – le 16 février 2016