Nicole, journaliste et bénévole à Naître et Vivre, a interviewé l’équipe des écoutants de l’association qui se tiennent à disposition des parents endeuillés ou de leurs proches 24 heures sur 24, alternant de semaine en semaine.
Pour une fois, c’est nous qui sommes à leur écoute.
La ligne d’écoute : un lien pour faire naitre l’espoir
« Quand tu décroches, tu ne sais jamais à quoi t’attendre », explique une écoutante pour Naître et Vivre. Pour une autre également, un appel est à chaque fois une aventure : « Derrière une banale sonnerie de téléphone, derrière cet Allo timidement énoncé, on ne peut pas imaginer la situation qui va être partagée. »
Chaque appel est unique. Chaque situation est une découverte. Il peut s’agir d’une demande de précision, d’explication, traduisant une inquiétude : « Je n’arrive pas à faire dormir mon bébé sur le dos. » Ou « Que pensez-vous du tour de lit, ou des écharpes de portage ? » Cela peut être une assistante maternelle qui s’inquiète d’avoir appris que le bébé qu’elle a en garde dort dans le lit de ses parents : « Comment leur dire que ça ne va pas ? »
Et puis il y a « l’appel », celui qu’on attend et redoute tout autant.
L’appel de ce papa ou de cette maman qui essayent, quelquefois pour la première fois, de dire l’indicible. C’est l’expression d’une colère jusque-là, contenue, réfrénée. Ou des mots à peine audibles tant ils sont difficiles à prononcer. Ou tout au contraire un flot de paroles, de questions pour tenter de comprendre ce qui a pu se passer. Et c’est une quête sans fin à la recherche du responsable de l’inacceptable.
Crier sa colère
Cela peut se traduire par « un besoin de crier le désarroi, de déverser cette hargne, sans laisser de place à l’échange pour raccrocher aussi vite », explique une écoutante. On le sent bien pour certains, des situations de vie difficiles accroissent la blessure du deuil.
« Être là tout simplement, et tenir devant cette détresse, c’est ça notre rôle. Cela requiert de l’énergie », confie l’une d’elles. Écouter nécessite une remise en cause permanente. « Malgré tout quelquefois quand je raccroche sans avoir pu échanger, en me demandant à quoi ça sert d’avoir juste été une oreille, je me dis aussi que si je n’avais pas décroché, vers qui, avec qui, dans quel lieu cette parole aurait pu être déposée. »
A l’inverse, on le sait, le fait de composer le numéro de la ligne de Naître et Vivre demande une incroyable énergie aux parents endeuillés. Oser appeler un inconnu, pour dire, pour risquer de mettre des mots sur une blessure encore à vif, oser être entendu par l’autre, prendre le risque de s’entendre aussi, tout cela ne va pas de soi. « En témoigne le nombre d’appels sans message et sans rappel », ajoute la bénévole.
L’écoute se résume à un mot : humilité
L’humilité est le maître mot tant la parole est fragile, timide, hésitante. « On marche sur des œufs, on est sur des sables mouvants. On se demande toujours comment est reçu ce qu’on dit, si on a bien fait », confie une écoutante. Il faut aussi savoir ne rien dire, se taire pour que la parole puisse se libérer enfin. « Il arrive que ce soit la première fois que des parents s’expriment. On pourrait avoir tendance à meubler les silences, à donner de l’information pour ancrer le lien », appuie l’une d’elles.
Certains appelants, réceptifs au dialogue, expriment leur souhait de partager avec des parents ayant vécu une situation similaire. Des interrogations reviennent souvent : « Combien de temps cela va-t-il durer ? Je ne sais pas si je vais être capable d’aimer autant un nouvel enfant ? J’aurais l’impression d’abandonner une deuxième fois mon bébé décédé. »
Beaucoup se disent complétement perdus, anéantis. « Je ne sais plus rien », me disait cette maman, raconte l’écoutante. « D’ailleurs quelquefois ils avouent ne pas savoir pourquoi ils appellent. Ils n’ont plus de repères, c’est un peu comme un appel au secours, une bouée à la mer. Certains nous confient leur difficulté à sortir de chez eux, à reprendre le travail. Certaines mamans se découvrent autre depuis le décès de leur enfant, ne tolèrent plus de voir des femmes enceintes dans la rue ou en veulent au monde entier pour tout et rien. »
Il est plus facile de parler à un inconnu
D’autres encore, « il n’y a qu’avec vous que je peux en parler ». Certains aimeraient mais ne savent pas comment aborder le sujet avec leur conjoint, leurs autres enfants, leur entourage. C’est pour la plupart plus facile de se confier à des inconnus. Ils ne se sentent pas jugés, ce qu’ils peuvent ressentir dans leur famille avec laquelle c’est quelquefois compliqué : « Mes parents n’en parlent plus, or j’aimerais qu’on en parle encore. »
Si la tournure de l’échange le permet, nous partageons l’expérience acquise au fil des témoignages. « Oui, c’est normal d’être découragé, d’avoir l’impression de ne pas pouvoir en sortir… vous avez le droit de dire que c’est trop dur … raison de ne pas avoir envie de voir vos amis …vous allez trouver votre route, c’est la vôtre », sont quelques phrases qui peuvent aider ou réconforter quelque peu, estiment d’un commun accord les écoutants. Cela rassure en tous cas souvent les parents endeuillés de savoir qu’ils ne sont pas tout seuls. D’autres sont passés par là.
Une main tendue
Si parfois les bénévoles sont juste là, témoins impuissants de la souffrance, il y a par moment, au détour de l’échange, le sentiment d’une communication profonde. Pour l’une d’entre elles notamment quand la discussion se termine par : « Merci de m’avoir écouté.e, cela m’a fait du bien de parler avec vous. », c’est la preuve que nous parents, précurseurs sur le chemin du deuil, pouvons aider d’autres parents.
Une écoutante, lors de certains appels a aussi le sentiment d’une compréhension mutuelle, d’une authenticité peu commune. Elle a l’impression que le message « oui, c’est possible de se relever d’un tel drame » a été entendu. Et pourtant très souvent la même interrogation se pose, juste après avoir raccroché : cette main tendue sera-t-elle saisie ? Quel impact aura eu cette écoute dans le parcours de cette personne ? Nul ne le sait.
Récemment, un papa évoquait combien il y a six ans, la veille de Noël et lendemain du décès de son enfant, l’accueil reçu au téléphone avait marqué son parcours, lui donnant l’énergie de participer à un groupe de parole.