Le confinement et le deuil : un temps suspendu, salvateur ou double peine ?
Depuis le début du confinement les écoutants de Naître et Vivre ont eu l’impression d’être moins sollicités sur la ligne d’écoute alors qu’il n’y a sans doute pas eu moins de situation de deuil d’enfant.
Le COVID par son omniprésence et sa contagiosité nous a amené à imaginer le pire, sans doute (comme tout un chacun) avons-nous craint pour notre vie. Cette préoccupation primant sur le besoin de communiquer.
Est-ce pour cela que moins de parents endeuillés ont eu recours à l’association Naître et Vivre ? Peut-être …
Nous avions envie dans cet article de partager avec vous, ce que certains parents ont eu l’occasion de nous exprimer sur la façon dont ils ont vécu ce temps si particulier.
Pour certains d’entre eux ce confinement a pu représenter une bulle salvatrice (nous) protégeant du monde extérieur. Elle a pu permettre à des parents nouvellement endeuillés de ne plus être confrontés au monde extérieur où il faut faire bonne figure, où il ne faut pas montrer sa tristesse, où il faut faire un effort voire se faire violence pour continuer à vivre normalement et parfois faire comme si tout allait bien. « Durant ce confinement, je me suis demandé : aurais-je aimé être dans cette même bulle protectrice, quand j’ai perdu ma fille, être mis à l’abri, préservé ? », raconte un papa.
Le confinement : une protection ?
Quand on vient de perdre un petit, il est dur, aussi, d’être confronté au bonheur des autres. Tout peut être ressenti comme une agression, comme par exemple ces parents jouant avec leurs enfants dans les jardins publics. « Au moment de mon deuil je me souviens que cela m’était insupportable de voir les autres faire des fêtes », se souvient Camille. Le confinement a pu faire office de protection contre toutes ces « agressions », ces éclaboussures du bonheur d’autrui, « bonheur qui m’avait été arraché à la mort de notre enfant ».
Avec la perte d’un tout- petit, le monde s’arrête, alors qu’il continue pour les autres. Là, avec le confinement le monde s’est arrêté pour tout le monde et du coup, endeuillés ou pas, nous étions tous « logés» à la même enseigne. Les parents qui nous appellent disent souvent se sentir en marge de la société, se sentir « anormaux ». Ils ont du mal à parler à leurs proches quelquefois maladroits et ne se sentent pas compris.
La relation à la mort a changé pour tout le monde avec l’arrivée de ce virus dont on nous égrenait tous les jours le nombre de victimes. L’impensable pouvait arriver. Tout comme le confinement qui nous est tombé dessus du jour au lendemain. La vie a basculé brutalement pour tout un chacun, comme pour ces parents qui perdent un petit, véritable déflagration dans une vie.
Le deuil plus audible durant le confinement ?
Sans doute les gens se sont-ils, tout d’un coup, eux aussi sentis vulnérables, et plus conscients de ce que la mort signifiait pour leurs proches récemment touchés par ce décès. Cet aspect « on ne se sent pas comme les autres » s’est un peu gommé. Et peut-être que du coup, familles ou proches de ces jeunes parents endeuillés ont été aussi plus présents pour eux, plus à l’écoute de ceux qui vivent des choses difficiles, car eux-mêmes vivaient alors une situation exceptionnelle qui les rendait plus sensible à la douleur des autres.
Durant ces deux mois on a beaucoup entendu cette petite phrase « ça ne sera plus jamais comme avant », ce que les parents perçoivent très profondément, dès la mort de leur enfant. Le « Avant et Après » était désormais partagé au niveau de l’humanité. Alors peut-être se sont-ils sentis durant ces deux mois mieux compris dans ce qu’ils vivaient.
Avec le temps qui s’est comme arrêté pour chacun, la course frénétique de la vie quotidienne « d’avant » a cessé. Qui n’a pas pendant ce confinement été attentif à l’Autre plus fragile, que ça soit par un coup de fil à la vieille tante ou une présence plus attentionnée à son voisinage. Le confinement a vu déferler tant d’élans de partage, de solidarité, que ce soit envers les soignants mais aussi des voisins isolés, des personnes âgées esseulées. Espérons que ces gestes, ces enthousiasmes perdurent, que cette écoute des uns et des autres demeure.
Le confinement : une double peine ?
Et puis a contrario il y a ces parents endeuillés qui ont vécu ce confinement comme une double peine, tuant la liberté de parole. Ils pouvaient encore moins exprimer leur douleur. Car on ne peut, quelquefois, externaliser sa blessure que quand on est libre. « L’enfermement nous renvoie sur nous-mêmes et nous empêche d’aller vers l’autre », nous ont dit certains. Certains par pudeur, par peur de rajouter de la souffrance à la souffrance, n’ont pas osé, ne se sont pas autorisé à faire appel. Une maman : « je me suis interdite de crier, je n’ai pas laissé de porte ouverte, peut-être que j’ai cru que si je faisais le dos rond, cette douleur glisserait sur moi ? » Car il en faut du courage pour appeler l’autre et verser ce message de douleur.
Espérons que le déconfinement a pu permettre à la parole de se libérer.
Toute l’équipe d’écoutants de Naître et Vivre est en tous cas là pour la recevoir.
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Dans la conception de Virginia Henderson*, une personne est « en santé » tant qu’elle peut satisfaire seule quatorze besoins fondamentaux, les premiers étant des besoins primaires indispensables à la vie, les derniers étant beaucoup plus secondaires. Avant V. Henderson, Abraham Maslow, dans les années 1940, développait l’idée que l’individu ne peut être en plénitude que si les besoins physiologiques dit ‘de base’ dans la pyramide de Maslow, sont satisfaits. Il se trouve que le besoin de communiquer est en dixième position (sur 14) dans la conception de V.Henderson, et le besoin de reconnaissance et d’appartenance à un groupe la troisième place sur cinq pour Maslow.
Virginia Henderson* est née le 30 novembre 1897 à Kansas City, État du Missouri, États-Unis et décédée le 19 mars 1996 à Brandford, État du Connecticut, États-Unis. À la fois infirmière, enseignante et chercheuse américaine, elle est à l’origine du modèle des quatorze besoins fondamentaux.
Abraham Harold Maslow*, né le 1ᵉʳ avril 1908 à New York et mort le 8 juin 1970 à Menlo Park en Californie, est un psychologue américain considéré comme le père de l’approche humaniste.