Témoignages de parents endeuillés sur la reprise du travail

Après le décès d’un tout petit, la reprise du travail fait partie des étapes importantes dans le parcours de deuil.

Une reprise du travail possible ? Une seule façon de la vivre ?

Cette étape est vécue différemment pour chacun, dans un temps, un rythme et un ressenti personnel.
C’est ce que nous avons pu constater et partager lors de l’assemblée générale de Naître et Vivre le 27 mars 2015, autour de la diffusion du film « Quand survient le deuil périnatal, entre législation et réalité sur le terrain »*, réalisé par Irène NAM pour Naître et Vivre.
Interviews réalisées début nov 2014
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Des parents font le choix de reprendre très vite après le drame pour être de nouveau confronté à la vie « normale », et arrivent à rester actifs au travail.
D’autres, quand l’enfant est décédé lors de la grossesse ou pendant ses premières semaines de vie, vont aller au bout des congés maternité, ou paternité, pour pouvoir avancer avant de reprendre un travail, alors que certains vont vouloir reprendre de façon anticipée leur travail.
Une reprise du travail est quelquefois essayée, pouvant être suivie d’un ou plusieurs arrêts maladie.
D’autres encore ne vont pas pouvoir envisager une reprise rapide et se verront prescrire par leur médecin un arrêt de travail, parfois suivi d’une reprise progressive (arrêt partiel de travail et/ou temps partiel thérapeutique).
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 Marie – maman de Léo*
 » Au mois de mai, le 4 mai 2014, j’ai perdu mon petit garçon qui s’appelle Léo, qui est décédé dans mon ventre la veille de l’accouchement. On l’a découvert le 3 mai, et j’ai accouché d’un enfant sans vie le 4 mai. 
Comme Léo est décédé pendant la période de maternité, j’ai d’abord été deux mois et demi en congé maternité puis ensuite en vacances, puisque je suis enseignante, jusqu’au mois de septembre. J’ai repris le travail début septembre avec beaucoup d’angoisse qui s’était accumulée au fil du temps. J’ai repris pendant deux semaines et demie, et j’ai été arrêtée le 17 septembre au soir. 
J’ai eu l’impression au travail de vraiment mettre un masque pendant la journée pour passer des journées correctes et de l’enlever le soir en arrivant à la maison, c’était insoutenable. Je n’arrivais plus à refaire ce que j’avais de nouveau recommencé à faire : une vie normale, à savoir manger, discuter, dormir et moins pleurer.
Et là, avec la reprise du travail, tout cela était revenu de plein fouet , toutes ces émotions que je n’arrivais plus à contrôler parce que dans la journée je m’efforçais de les contrôler.
Donc je me suis arrêtée le 17 septembre, d’abord pour 15 jours, puis de nouveau 15 jours, et là, je suis arrêtée jusqu’à la fin du mois de novembre, on envisage même que je ne reprenne pas peut-être pour l’année scolaire. 
Aujourd’hui, je ne me sens vraiment pas d’affronter le travail et d’affronter tous ces enfants que je côtoie dans la classe (je travaille en maternelle), et d’affronter toutes ces mamans qui emmènent les enfants, et il y a beaucoup aussi de mamans qui sont enceintes, et le contact avec les femmes enceintes reste très compliqué. Les nouveaux nés, ça reste également très compliqué. Et puis, tout simplement, d’être en contact  avec beaucoup de gens d’un coup : je n’y arrive pas encore. J’ai encore besoin d’être dans un cercle restreint avec quelques personnes, de me sentir à l’aise. Là, c’était insoutenable.
Par rapport à mon arrêt de travail : j’ai un médecin, une femme, qui me semble très à l’écoute. Moi j’ai eu beaucoup de culpabilité par rapport au fait d’être en arrêt, je n’avais pas la sensation que cet arrêt soit légitime puisque physiquement, je suis en forme. Mais mon médecin  m’a bien rappelé, maintes fois, que c’était une prescription médicale et que c’était elle qui me mettait en arrêt parce qu’elle sentait bien que j’en avais besoin, et que c’était pour m’aider à avancer, pour m’aider à aller mieux quand le travail devenait trop une angoisse, en fait.
Alors effectivement, la culpabilité, elle, est toujours là, elle ne s’est pas évaporée. Mais je me sens quand même un peu mieux avec  ça, même si c’est toujours compliqué d’assumer cet arrêt de travail. Quand on me demande si je suis disponible à tel ou tel moment, j’assume pas toujours de dire, « bah oui parce que je suis en arrêt ». Des fois je ne dis rien, ou je dis « je ne travaille pas aujourd’hui ».
C’est aussi par rapport à mon mari, qui, lui, va au travail alors qu’il a vécu la même chose que moi, mais il y arrive très bien.
 Et puis il y a aussi des matins où je me dis « la journée d’hier s’est bien passée » alors aujourd’hui, fait un effort et puis va travailler.
Mais je sais que ce n’est pas possible… je sais que ce ne serait vraiment pas possible, c’est… oppressant. Je le ressens vraiment physiquement, je le ressens à l’intérieur de moi, c’est oppressant. Je me sens tellement mieux chez moi que c’est angoissant du coup d’imaginer retourner au travail pour l’instant. »  

Arrêt maladie, temps partiel thérapeutique ? Quelles expériences ? Quels ressentis ?

Quand le parcours de deuil ne donne pas les forces de reprendre son travail, il est souvent difficile de savoir ou de penser que l’on peut avoir recours à un arrêt maladie (total ou partiel) prescrit par son médecin pour retourner progressivement au travail. Pourtant ces possibilités existent.

C’est une question délicate : le deuil plonge la personne dans un état dépressif. Cet état est lié à la situation, et il est difficile d’en faire l’économie, mais pour autant le parent ne se sent pas malade.

Certains n’envisagent pas ces possibilités.

D »autres vivent l’arrêt maladie total ou partiel comme un conseil bienveillant des médecins à prendre soin d’eux. Ils acceptent d’être dans une sorte de convalescence dans ce cheminement de deuil, avec le besoin d’être reconnu et pris en compte dans ce processus.

Certains vont se culpabiliser de ne pas aller mieux à l’issue d’un arrêt maladie. Rien d’étonnant car peut-on guérir ?

Concernant le mi-temps thérapeutique, le dialogue avec le médecin conseil de la sécurité sociale et le médecin du travail peut être difficile à vivre, et parfois décalé par rapport au vécu du drame de la perte d’un enfant.

À l’issue du maximum accordé en temps partiel thérapeutique, si le parent ne peut pas reprendre à temps plein son travail, le salarié pourra être considéré et positionné en incapacité, ce qui peut être vécu difficilement.

 

image-537-avisdarretdetravailDominique – père de Mathilde*
« Après le drame toute ta vie est impactée. Parce que tout d’un coup tout ce en quoi tu croyais, la relation même à la vie, est complétement chamboulée. Tu as juste envie d’aller à l’essentiel, plus directement dans tes relations aux personnes.
 
Professionnellement, j’avais commencé un bilan de compétences, car je ne me sentais pas très à l’aise sur certaines choses. Finalement des choses qui me gênaient avant ne m’ont plus du tout gêné, après. Depuis au travail ça se passe beaucoup mieux parce que c’est beaucoup plus agréable pour moi au quotidien. C’est le côté positif de cette épreuve.
 

 

Le côté négatif c’est que quand j’ai repris le travail, je ne pouvais pas, ne pas parler de Mathilde. J’ai le souvenir d’une cliente avec qui j’avais commencé à travailler avant et quand j’ai continué ma mission avec elle, on était à table,.., et elle me parlait de ses enfants, elle me parlait de ses enfants,… Et moi j’étais là et je ne pouvais, n’osais pas lui en parler. Jusqu’au moment où en fait, je ne pouvais pas ne pas lui dire que moi aussi j’étais un père sauf que ma fille n’était plus là.
 
De la même manière que je parlais d’une onde de choc, elle, elle se l’ai prise en pleine tête, et du coup, on a arrêté la journée de travail. C’était assez difficile pour elle. Moi ça m’a un peu soulagé mais pour elle s’était un peu bizarre.
 
A partir de ce moment je me suis rendu compte que cela allait être probablement beaucoup plus long que ce que j’imaginais et je suis allé voir mon médecin. Il a accepté en fait de me mettre en mi-temps thérapeutique. Il m’a remis en arrêt pendant une semaine ou deux et ensuite la reprise a été faite à mi-temps, pour un syndrome post-traumatique.
 
L’idée étant que je pouvais continuer à travailler et je voulais continuer à travailler, mais par contre j’étais plus lent et j’étais beaucoup plus sensible à ce qui se passait autour de moi. Ensuite je pouvais décider de ne travailler que les matins, que l’après-midi ou que les lundis et mardis. Ce qui était important c’est que j’ai eu un médecin, mon médecin traitant, qui était à l’écoute et qui m’a vraiment accepté dans l’état et qui m’a aidé à continuer.
 
Du coup j’ai passé le cap des 6 mois, et au fur et à mesure ça s’est calmé. J’ai repris vraiment de la joie, de l’envie de travailler, des forces et au bout d’un moment ça s’est arrêté, il m’a proposé de reprendre. J’ai dit on va essayer et voilà, aujourd’hui j’ai repris mon travail à temps plein.
 
Je connais beaucoup de personnes qui arrivent à scinder les deux : « moi je ne parle pas de ma famille, je suis là pour le travail. » Pour moi il y avait ce besoin d’en parler.  Avec les collègues, ils étaient dans le « bateau », ils ont participé. C’est pas de notre faute, c’est pas de ma faute si Mathilde est décédée. C’est pas de la faute des collègues si Mathilde est décédée.
 
Ma tristesse, mon deuil, ne doit pas empêcher les collègues de continuer à vivre normalement et notamment de continuer à me considérer comme l’un des leurs. J’étais en souffrance pendant un moment, mais là les choses redeviennent à peu près normales. Je continue à bien m’entendre avec certains. Il y en a d’autres qui continuent à m’ennuyer profondément. Les choses redeviennent à la normale.
 
Mais on a discuté. Il n’y a pas eu d’omerta. Parce que, je pense que s’il y avait eu une omerta, je suppose que la seule solution possible ça aurait été de changer de travail. Dans le sens où on ne peut pas juste vivre avec un gros tabou sur les épaules. » 

 

Les conditions de cette reprise ? Quels facteurs inter-agissent ?

Le deuil d’un petit, perte brutale et traumatique, est un sujet difficile à aborder et plus encore dans le milieu du travail. C’est un sujet qui reste tabou dans notre société.

L’exercice professionnel, la nature de la profession et  l’environnement du travail exposent l’individu à des réactions totalement différentes dans la capacité de reprise. Par exemple, les parents dans des professions exposées à la relation humaine ou la gestion humaine (comme les institutrices, professionnels en service de néonatalogie, ou contacts clients, managers, etc.) vivent une reprise de travail ponctuée de différentes sources de difficultés : forte exposition à la gestion des relations humaines, contact enfants, …

Le temps qui passe impacte au bout d’un moment la nécessité pour le parent endeuillé de continuer à se garantir un revenu et des ressources (il continue à assumer ses charges). Le travail permet bien sûr d’assurer ce revenu à l’issue des congés maternité, paternité, et/ou des arrêts maladie (total ou partiel).

La prise en compte par l’employeur du deuil des parents est variable selon la sensibilité du manager ou de l’entourage professionnel à la situation. L’accueil et l’accompagnement du parent endeuillé est variable selon l’entreprise dans laquelle on reprend le travail. La taille de l’entreprise, la proximité des relations d’équipe, le poids de l’absence peuvent influer.

Certains services de Ressources Humaines (RH) ou managers vont prendre en compte ce deuil et aménager la reprise du travail (doubler un salarié quelques jours sur son poste, faciliter l’organisation d’un temps partiel thérapeutique dans les contraintes du poste de travail, alléger le rythme, permettre de partir en cas de besoin, ne pas exposer de suite à des réunions en trop grand groupe, etc.). D’autres vont faire comme si de rien était ou doubler les charges pour occuper le salarié « pour qu’il n’ait plus le temps pour penser »…

IMGP2434Charlotte – maman d’Arthur*
 » J’ai repris mon activité professionnelle trois semaines après le décès d’Arthur. Je n’ai pas eu spécialement d’entretien avec mon manager direct pour échanger de ce qui s’était passé ou pour projeter un peu l’avenir, ou en tous cas les mois qui suivaient ce décès. 
J’ai quand même eu un échange avec mon directeur général qui lui m’a expliqué que si à un moment donné ça n’allait pas, je pouvais librement partir de mon travail ou prendre des jours de congés. Mais mon manager direct n’a pas du tout évoqué le sujet avec moi. Il a souhaité (mais j’interprète peut être aussi) me charger en dossiers pour que j’évite de penser à autre chose et pour que je passe à autre chose, pensant peut-être que c’était plus facile pour moi.
Je ne l’ai pas vécu facilement, puisque du coup, je me suis retrouvée surchargée par mes dossiers. Il n’a pas forcément entendu ma difficulté à me remettre progressivement dans mon poste de travail. 
Donc, assez rapidement, je me suis posé la question de partir, parce que,  finalement, j’avais du mal à me reprojeter dans ma vie professionnelle. 
Je pense que je n’étais pas prête, et puis j’avais un projet avec mon mari de partir en province, on en a donc profité pour changer nos projets et, du coup, j’ai posé ma démission. Au moment où j’ai posé ma démission, j’ai aussi essayé de négocier d’effectuer mon préavis à la maison, parce qu’en fait j’ai appris le décès de mon fils sur mon lieu de travail, tous mes collègues étaient là, et que de revenir dans mon bureau, sur mon lieu de travail, c’était assez douloureux. Mais il m’a été refusé de faire ce préavis à la maison, et donc j’ai du aller au bout de mon préavis et puis j’ai quitté l’entreprise le 15 août 2008.
Au moment du deuil, la place du travail était secondaire et a remis en cause tout mon projet de carrière et la vie que j’avais projetée en tous cas dans mon activité professionnelle. La reprise du travail a été pour moi indispensable puisqu’au décès d’Arthur, c’est comme si ça avait marqué un point d’arrêt, et que pendant les années où je n’ai pas travaillé, mon objectif de carrière était au point mort, et que le fait de reprendre une activité professionnelle a permis de réécrire une nouvelle page, et de reprendre là où je m’étais arrêtée. Aujourd’hui, la place du travail a un rôle indispensable pour moi dans ma vie de femme et de mère, puisque ça me permet aussi de m’épanouir en dehors de la maison, alors qu’entre 2008 et 2012, mon seul épanouissement était ma famille et mes enfants. 
C’était vraiment nécessaire de reprendre ensuite une activité professionnelle pour que, sans passer à autre chose, je puisse écrire une nouvelle page de ma vie professionnelle avec un parcours que je n’aurai pas imaginé. C’est sûr que ma vie professionnelle aurait été différente (je serais restée sur Paris), et que la vie professionnelle de mon mari aurait été différente aussi sur Paris : on aurait eu une carrière peut-être  plus importante. Mais le fait de reprendre le travail m’a permis de remettre les compteurs à zéro et de reprendre ma propre vie. » 

 

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Que vous soyez parent ou grand-parent, ami, professionnel confronté au décès d’un bébé parti subitement, collègue ou manager d’un salarié parent concerné, Naître et Vivre vous propose une écoute personnalisée, grâce à laquelle des parents bénévoles formés à l’écoute pourront vous écouter et vous orienter.

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* témoignages issus du film  « Quand survient le deuil périnatal, entre législation et réalité sur le terrain » d’Irène NAM pour Naître et Vivre.