En 2024, sur les 663 000 naissances, 2 716 enfants de moins d’un an sont décédés. Cela représente 4,1 décès pour 1 000 naissances vivantes. Après une baisse rapide jusqu’en 2005, la mortalité infantile qui stagnait jusqu’en 2015 est ainsi repartie à la hausse. Elle concerne surtout les nouveau-nés : 70 % des décès sont ceux d’enfants âgés de 0 à 28 jours. Alors que la France avait un taux de mortalité infantile parmi les plus bas d’Europe à la fin du XXe siècle, elle se positionne actuellement à la 23 ème place sur 27.
En 2023 et 2024 des spécialistes et des parlementaires s’étaient emparés de la question mais sans avancées majeures. Le sujet est revenu dans les médias à la suite de la sortie du livre de deux journalistes, Anthony Cortès et Sébastien Fleurquin : « 4,1 le scandale des accouchements en France »1. Dans cette enquête ils analysent les raisons de la catastrophe et proposent des solutions mais d’après certains (Le Monde2, le Journal international de médecine)3, il reste bien des zones d’ombre.


Source : Insee, statistiques et estimations d’état civil
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Les maternités en France
Dans le titre même, les deux auteurs pointent la cause qu’ils jugent première : la fermeture des petites maternités de proximité : 75 % des maternités ont fermé depuis 1975. Les raisons invoquées : les décrets de 1998 qui fixent le seuil de 300 accouchements par an en dessous duquel le volume d’activité serait trop faible pour que les soignants soient suffisamment entraînés face à des situations à risques. Mais aussi, l’absence d’équipements techniques de réanimation et la pénurie de personnel sans cesse croissante qui y rendent les accouchements potentiellement dangereux pour les femmes et leur bébé.
Ces mesures, justifiées par la volonté d’assurer la sécurité de la mère et de l’enfant, ne tiennent pas compte, selon les auteurs, des risques liés à l’allongement du temps de trajet entre le domicile et la maternité. « La part des femmes en âge de procréer résidant à plus de 45 minutes d’une maternité a augmenté de 40 % depuis 2000. » Ce qui, d’après une étude citée dans le livre, double le taux de mortalité périnatale, c’est-à-dire les enfants nés sans vie ou décédés au cours des 7 premiers jours de vie. Quant aux grosses structures qualifiées d’« usines à bébé » par les auteurs, avec plus de 3 000 accouchements par an, elles ne sont pas non plus la solution. Elles souffrent d’un fonctionnement à flux tendu et du manque de personnel. Si la sécurité y est mieux assurée, elles pêchent par la qualité de l’accueil. On est loin d’une sage-femme pour une femme comme c’est le cas en Suède. La polémique autour de la fermeture des maternités est loin d’être close.
La prématurité
Autre facteur abordé par les auteurs : le traitement de la prématurité. Car le nombre de décès parmi les prématurés est lui aussi alarmant : 70 % des nouveau-nés qui meurent durant le premier mois étaient prématurés. Le taux des enfants qui naissent avant terme en France est 6,9 ‰, ce qui est le taux médian européen. Mais la France pourrait faire beaucoup mieux si les services de néonatalogie n’étaient autant surchargés en raison du manque cruel de pédiatres et d’infirmières spécialisés. L’emploi de personnels intérimaires, appelés « mercenaires » par les auteurs, n’est pas la solution.
D’autres causes
Ce n’est pas cette cause que retient l’État sur son site officiel Vie-Publique4 pour expliquer le taux croissant de mortalité infantile. On y trouve entre autres le report des naissances à des âges maternels plus élevés, l’augmentation du surpoids et de l’obésité chez les femmes enceintes, du tabagisme, du nombre de femmes qui poursuivent leur grossesse alors que le fœtus est atteint d’une pathologie grave, de la précarité des femmes qui accouchent. Sans nier le rôle de ces facteurs, notons qu’ils sont du seul ressort de la responsabilité individuelle des femmes. Sachant qu’ils impactent aussi les autres pays européens, ils ne sauraient expliquer à eux seuls l’augmentation de la mortalité infantile en France.
Les auteurs résument ainsi l’état de la situation : « Premièrement, le New public management, qui fait de la rentabilité l’alpha et l’oméga des établissements de santé, responsable des fermetures et de la concentration de l’offre dans les pôles urbains. Deuxièmement, la vision nationale court-termiste des politiques mises en place, qui ne permet que l’improvisation, et non l’anticipation en fonction des besoins locaux, et troisièmement, l’absence d’outil capable de déterminer les causes précises de tant de décès de bébés. »
Comment mettre un terme à cette grave crise de santé publique ?
La prévention
De nombreux décès sont évitables.Les auteurs abordent la prévention sous l’angle de la PMI, Protection maternelle et infantile, qui joue un rôle crucial dans le dépistage précoce des problèmes de santé, l’accompagnement des mères et des enfants, véritable service public de proximité, gratuit et libre d’accès. Mais depuis 2000 la situation des centres de PMI s’est dramatiquement détériorée. L’activité (nombre d’examens, visites à domicile) a globalement été divisée par deux depuis 25 ans. Les carences en budget et personnel de ce service se font particulièrement sentir dans les territoires les plus touchés par les difficultés sociales. En Seine-Saint-Denis où 17 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, le taux de mortalité infantile est de 5,4 ‰. Les auteurs passent sous silence Ia situation dans les outre-mer : taux de 8,1 ‰ en Guadeloupe et de 8,9 ‰ à Mayotte (moyenne sur la période 2019-2021), particulièrement critique. Une étude anglaise citée dans le livre a démontré que la précarité multipliait par 5 le nombre de décès d’enfants. « Une donnée alarmante et transposable à notre pays » notent les auteurs.
La création d’un registre
Pour les deux journalistes, il est urgent de mobiliser les pouvoirs publics. Une première mesure serait de créer, comme dans les pays nordiques, un registre national des naissances et de la mortalité infantile en France. Ce système collecterait des informations détaillées sur l’enfant et la mère et les données statistiques permettraient aux chercheurs d’avoir une vue globale de la situation.
La modification radicale des lieux d’accouchement
Le registre permettrait « d’engager une transformation globale de l’offre des maternités et de redéfinir le maillage territorial en accord avec la population ». Il s’agit « d’une profonde remise en question du fonctionnement de notre système de santé ». Anthony Cortès et Sébastien Fleurquin sont d’ailleurs à l’initiative d’une tribune publiée dans le journal Libération du 18 mars5 et signée par de nombreux professionnels de santé et plusieurs élus, appelant l’État à un sursaut face à la mort de ces nouveau-nés et nourrissons.
Et la MIN dans tout ça ?
Nous constatons que la MIN, mort inattendue du nourrisson, qui nous motive particulièrement à Naître et Vivre, n’est pas du tout abordée dans l’ouvrage. On appelle MIN le décès d’un nourrisson survenant brutalement alors que rien, dans ses antécédents connus, ne pouvait le laisser prévoir. Les investigations post-mortem permettent dans certains cas de trouver des causes biologiques (infections fulgurantes, malformations passées inaperçues, …) ou des causes matérielles liées aux conditions de couchage ou à l’environnement. Quand tous ces facteurs sont écartés, il reste encore environ 25% de cas inexpliqués : les MSN, mort subite du nourrisson.
Dans les statistiques, quelle est la part de la MIN ?
Nous avons noté dans cette enquête que 70 % des décès avaient lieu entre 0 et 28 jours. Or seulement le quart des MIN ont lieu durant cette période. Elle touche plutôt les bébés plus grands avec un âge médian de 3,6 mois. Elle concerne environ 300 bébés par an, soit un taux de 0,45 ‰. Cela semble peu face au 4,1. Les MIN ne représentent que 10 % de la mortalité infantile totale. C’est peut-être pour cette raison que la MIN n’est pas mentionnée dans le livre. Or c’est la première cause de mortalité post-néonatale, entre 28 jours et 1 an.
La prévention
Environ la moitié des cas peut être évités grâce à la prévention. Celle-ci a montré toute son efficacité dans les années 90. En France et dans plusieurs pays européens, les campagnes de prévention de 1992 à 1994 portant sur le couchage sur le dos et l’environnement du nourrisson ont permis en quelques années une baisse de 75 % de la mortalité par MIN.
Nombre de décès de 0 à 1 an par « MSN » chaque année en France de 1980 à 2016

Les flèches rouges indiquent le début des actions de prévention (en 1992 dans quelques départements, puis en 1994 la première campagne nationale de prévention). Sources Cépids INSERM6. Les chiffres sont imprécis et ne représentent pas l’ensemble des « MIN » en raison de problèmes de classification des causes de mortalité.
Mais hélas, ce taux repart aussi à la hausse et certains facteurs ici sont bien identifiés. Les consignes de couchage7 : bébé sur le dos, dans un lit à barreaux sans couverture, ni tour de lit, cale bébé et autres, peluches… ne sont pas respectées par les commerçants qui proposent du matériel de puériculture inadapté voire dangereux. De fausses informations circulent sur les réseaux sociaux. Les consignes ne sont plus clairement explicitées dans la nouvelle version du carnet de santé … Devant la gravité de la situation, il est temps de mettre en place des mesures d’ampleur.
De leur côté, l’OMIN8, observatoire de la MIN, et les associations de parents endeuillés dont Naitre et Vivre, réclament une campagne nationale de prévention de la MIN. Signalons qu’il est encore temps de signer la pétition9 pour le parlement européen « Bébé sur le dos sur toutes les photos », afin d’interdire tout visuel ne respectant pas les consignes de couchage comme on peut voir par exemple sur certains paquets de couches.

A propos de registre, l’OMIN créé en 2015 a été labellisé « registre » en 2021, outil fondamental pour la recherche sur la MIN. Mais, comme le disent les auteurs, pour l’instant il n’y a pas de coordination des différents systèmes de collecte de données.
Discutons des statistiques
Lorsque Philippe Juvin, médecin et sénateur, évoque la possibilité de mettre un message de prévention sur les paquets de couches, l’un des auteurs ironise : « A l’image des paquets de cigarettes, verrons-nous bientôt des messages dormir sur le ventre tue comme réponse magique à la mortalité infantile ? » Et lorsque Philippe Juvin évoque la campagne des années 90, le même journaliste rétorque : « Comme si à l’époque, ces recommandations avaient été la seule réponse apportée par les pouvoirs publics ». Les auteurs et le député ne parlent pas de la même chose. Les premiers se soucient des 2 600 enfants décédés dans leur première année alors que la MIN évoquée par Philippe Juvin n’en représente que 10 %. Dans les années 1970-2000, la mortalité infantile globale n’a cessé de décroître grâce à l’amélioration du système de santé et, en particulier, les plans de périnatalité (un simple exemple, le temps de séjour à la maternité était d’une semaine alors qu’il est de trois jours actuellement). Le couchage sur le dos y a contribué notamment pour la période allant de 28 jours à un an.
« 4,1 » est un livre salutaire car il tire la sonnette d’alarme en informant sur l’augmentation de la mortalité périnatale et les pistes pour lutter contre le fléau. Les actions sont à poursuivre.
Un chapitre est consacré au « combat des parents ». Naitre et Vivre accompagne les parents qui ont perdu un tout-petit quelle qu’en soit la cause et soutient toutes les initiatives qui ont pour but de diminuer le nombre de drames que sont pour les parents la mort de leur enfant.
- Anthony Cortès et Sébastien Fleurquin- 4,1 le scandale des accouchements en France, Buchet-Chastel 2025,- 21 € ↩︎
- Le Monde du 13 mars 2025 : https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/03/13/4-1-le-scandale-des-accouchements-en-france-la-hausse-de-la-mortalite-infantile-une-exception-francaise_6579865_3232.html ↩︎
- Journal international de médecine : mars 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/mortalit%C3%A9-infantile-quel-votre-diagnostic-2025a10006t1?ecd=wnl_all_250324_jim_jim-plus_ ↩︎
- Vie publique : https://www.vie-publique.fr/en-bref/289948-mortalite-infantile-en-france-pourquoi-le-taux-ne-baisse-plus ↩︎
- Libération du mardi 18 mars 2025 : https://journal.liberation.fr/liberation/liberation/2025-03-18 ↩︎
- https://www.cepidc.inserm.fr/donnees-et-publications/interroger-les-donnees-de-mortalite ↩︎
- Recommandations de couchage : https://naitre-et-vivre.org/mesures-prevention-min/ ↩︎
- OMIN : https://www.omin.fr/ ↩︎
- Pétition « Bébés sur le dos sur toutes les photos » : https://naitre-et-vivre.org/bebe-dort-sur-le-dos-sur-toutes-les-photos-signez-la-petition-pour-le-parlement-europeen/ ↩︎