« 1982 », un film hommage à une absente si présente

Sophie Triniac, qui a présenté son film « 1982 » en ouverture de la réunion à thème sur « Le silence autour du deuil périnatal » le 1er décembre 2022 revient dans son entretien avec Vanessa sur les conséquences familiales et personnelles du décès de sa petite sœur en 1982.

Le court-métrage est visible à l’adresse suivante : Vimeo.com/693064199

Sophie Triniac est photographe et réalisatrice de documentaire et de fiction. « 1982 » est son film le plus intime, le plus personnel. Elle y raconte son histoire et celle de sa petite sœur mort-née. Une enfant dont les parents ont tu l’existence, jusqu’à ce que Sophie Triniac découvre ce lourd secret familial et en fasse un court-métrage extrêmement poignant.

 

Dans son film « 1982 », Sophie Triniac évoque le deuil périnatal à travers

le questionnement de l’amnésie traumatique. © Sophie Triniac

Aujourd’hui, Sophie Triniac le sait : 1982 est une date charnière dans sa vie.
« 1982 a été mon 2ème départ de vie » résume la réalisatrice. « Je me suis construite sur cette année-là. Je me suis construite sur une solitude importante, dans l’effacement de moi par rapport à la douleur de mes parents. »
En 1982, la jeune femme a 6 ans, un Papa, une Maman, une grande sœur. Quand elle interroge sa mémoire, la réalisatrice a peu de souvenirs de cette période. C’est à la naissance de son fils en 2013 qu’elle mesure cette amnésie. « Quand mon fils est né, tout m’a chamboulé, tout m’est tombé dessus ! Cela m’a amené à moi finalement ! »
Jeune maman, elle s’interroge sur l’enfant qu’elle a été. Et elle se rappelle qu’elle se sentait un peu à part. « Je me sentais différente de ma sœur ainée, de ma famille. Je mettais cela sur une différence car je ne savais pas à quoi m’agripper. »

 

L’album de famille dans lequel Sophie Triniac a recueilli
les souvenirs de son enfance s’arrête en 1981. © Sophie Triniac

« Savoir, cela change tout »

Aujourd’hui, Sophie Triniac sait que ce sentiment de différence est né du fait qu’elle n’était pas à la bonne place. Elle n’occupait pas la bonne place dans la fratrie.
« Depuis que je sais que j’ai une sœur qui est décédée, cela change tout. Maintenant, je sais quelle place j’ai, maintenant je comprends. C’est en cela que tout a changé. »
Et pour savoir, la réalisatrice a fait ce qu’elle sait faire. Elle a mis son talent professionnel au service d’une quête personnelle. Elle a décidé de faire un film sur son histoire.
« Je ne me suis jamais dit qu’il était absurde de faire ce film, de se dévoiler autant. Au contraire, je me suis sentie portée par une énergie. »
Animée par le fait de savoir la vérité, elle mène l’enquête : elle consulte le livret de famille de ses parents, interroge sa maman… et apprend qu’une petite sœur est mort-née le 15 octobre 1982.
« Je ne suis pas la petite dernière ! Je me demande ce qui résonnait en mes parents quand ils entendaient : ah, c’est la petite dernière ! Je me dis que cela devait être assez compliqué pour eux d’entendre cela. »

C’est en consultant le livret de famille de ses parents que Sophie Triniac

découvre l’existence d’une petite sœur mort-née © Sophie Triniac

Oser dire

La Maman de Sophie Triniac décèdera deux ans plus tard, sans que Sophie et elle ne reparlent de cette petite sœur décédée. « Sentant la douleur de ma mère quand je lui ai posé des questions, je n’ai pas voulu amplifier la situation. J’avais envie de savoir la vérité mais dans le respect de mes parents. »
En revanche, le Papa de Sophie a réagi différemment. « Alors que ma mère ne répondait pas à mes questions, mon père m’a dit qu’il était soulagé, qu’il n’en pouvait plus de cette situation de silence. Pour lui, ça a vraiment été une libération et cela lui a permis de faire exister ma sœur dans sa vie. »
Il y a eu beaucoup d’émotions quand son père a laissé éclater la vérité : « il était en pleurs » confie Sophie. « Tous les secrets de famille sont néfastes car ils viennent toujours à être découverts. Oser dire mais quel soulagement pour tout le monde finalement ! »
Faire ce film, reconnaît Sophie a été pour elle une manière inconsciente de se reconstruire. Il a aussi permis de faire exister sa sœur et de lui rendre hommage. Un bel hommage.
« Ce film, ce n’est pas un drame, c’est une histoire de famille » conclut la réalisatrice.

Propos recueillis par VB